OutOfTimeMan a écrit :l'apprentissage des modes, comme porte d'entrée au monde de l'impro, est selon moi une erreur...
Ô combien je souscris à cet avis tranchant...
Je peux même en ajouter une couche, concernant le jazz "moderne". Comme tout art nouveau, au bout de quelques années, quand on a fini de le conchier pour l'admettre comme art à part entière (cf
l'Impressionnisme en peinture), les pédagogues vous disent c'est comme ça... Bref voilà
l'académisme !
Le jazz
be-bop, quand il a fait l'objet d'un enseignement à l'école plutôt qu'une transmission sur le tas, est passé par une moulinette formaliste qui n'a rien à voir avec la façon dont ceux qui l'avaient inventé l'ont conçu, pensé, joué. Il n'y a pas chez Parker, Gillespie, Monk etc d'approche par les "modes" des notes propices à tel accord de telle fonction. Ils fonctionnent avec la connaissance de l'harmonie, la base (1 3 5 7), des possibilités d'
enrichissements et de
substitutions des accords,
notes de passage,
chromatismes... procédés qui ont été introduits progressivement par les plus avancés des musiciens de jazz classique (Duke Ellington, Coleman Hawkins, Art Tatum, Lester Young, Charlie Christian...).
Bien souvent ce qui provoque cette évolution n'est pas la connaissance de la musique savante européenne, qui fait la même chose dans la deuxième moitié du 19ème siècle, mais la perturbation que génère
le blues dans l'harmonie occidentale. D'où l'importance des musiciens de Basie, Kansas City, aussi bien harmoniquement (Lester Young) que rythmiquement, batteurs et contrebassistes, dans l'évolution vers le jazz moderne. Ils n'ont pas appris de Messian les 'modes' diminués ou ton par ton, ils les jouent parce qu'ils sont logiques dans leur approche harmonique (Monk) ou, pour les guitaristes, en raison des symétries de doigtés sur le manche (Django). Les premiers guitaristes suivant le be-bop adaptent Charlie Parker à l'oreille (Jimmy Raney...).
J'ai consacré un texte à cette histoire
le blues et l’harmonie du jazz (hypothèses) >
http://patlotch.free.fr/text/1e9b5431-152.html
Le risque d'apprendre, disons le jazz classique, le be-bop, le hard bop, la West Coast... avec les modes, c'est de n'y rien comprendre. Après ça devient une autre paire de manches (sic), quand s'introduit la notion de
modalisme dans le jazz dit "modal" (Miles Davis
Kinf of Blue, Bill Evans etc), ni plus ni moins que la musique de Ravel ou Debussy ne peut s'analyser avec les critères de Mozart ou Wagner.
En résumé, mon avis est que si l'on joue une musique
modale, il est indispensable de connaître ces
modes. Si l'on joue des enchaînements d'accords dans un contexte
tonal (y compris avec des
modulations, à savoir des changements de tonalité), cela peut paraître pratique, mais c'est d'abord une complication, un faux raccourci, un risque de confusion.
Si l'on veut jouer comme McLaughlin ou Metheny, on ne coupe pas aux "modes". Si on a pour maîtres Django, Wes Montgomery, Kenny Burrel, Jim Hall ou Joe Pass, on s'en passe aussi bien qu'eux-mêmes l'ont fait pour devenir des Guitar-Heros. Leur approche est très guitaristique, d'avant la furie pour les "modes" mis à toutes les sauces.
C'est pourquoi j'ai répondu si longuement à des questions en suspens ici :
Improvisation sur les modes >
http://www.guitare-improvisation.com/fo ... ?f=3&t=383
Arpèges d'accords et gammes >
http://www.guitare-improvisation.com/fo ... ?f=3&t=384
PS : je connais les gammes et positions, comme la théorie sur l'utilisation des modes pour improviser, mais je trouve ce détour plus compliqué que la connaissance harmonique et l'oreille qui va avec. L'histoire des modes altérés, Bartok ceci ou cela, c'est
prendre un canon pour masturber une mouche. Ce qui importe c'est de savoir où se trouvent la quinte augmentée, la neuvième bémol, la onzième dièze etc. et mieux encore d'entendre leur couleur à l'oreille. Avec ça on se fabrique ce qu'on veut, et on évite les plans répandus ad nauseam... C'est peut-être important en
improvisation ?
